Cela, pourtant, n'est pas sans importance. En effet, l'époux de la
dame, Pépin le Bref, a tout intérêt à s'assurer de hautes alliances. Ses ambitions sont grandes. Il est encore maire du palais au jour de ses noces. Il veut devenir roi des Francs. Il s'agit,
ni plus ni moins, d'un coup d'état. Qu'il réalise en 751 avec une habileté consommée, renversant Childéric III et se faisant élire avec la bénédiction de l'Eglise.
Mieux valait, dans ce contexte hasardeux, avoir à ses côtés sur son
trône tout neuf, une "aristo" de noble lignée plutôt qu'une anonyme concubine.
C'est si vrai que le pape lui-même intervient quand Pépin, sur un
accès de mauvaise humeur, songe à répudier Berthe. On n'ose penser à pareille catastrophe. Que serait devenu le petit Carolus ?
Il est déjà grandet - douze ans - lors du couronnement de ses
parents et reçoit le sacre avec eux, en même temps que son frère Carloman. Deux précautions valent mieux qu'une pour assurer une lignée en un temps où l'espérance de vie est bien
courte.
Mais cette double consécration posera bientôt de gros problèmes. A
la mort de Pépin, le royaume se trouve divisé entre les deux héritiers. Berthe voit avec inquiétude la rivlité grandissante de ses fils. Heureusement elle a suffisamment d'autorité sur l'un et
l'autre pour intervenir. D'ailleurs elle adore cela. Elle chapitre donc Carolus qui, pour l'heure, réside à Noyon. Elle fait de même avec Carloman qui s'est établi à
Soissons.
Après quoi, elle passe de la politique familiale à la politique
étrangère et, se croyant habile diplomate, elle décide de mettre de l'ordre en Europe. Elle se rend en mission diplomatique chez le duc Tassilon en Bavière, pays qu'annexera plus tard
Charlemagne. Puis elle passe de l'autre côté des Alpes pour rendre visite à Didier, puissant et dangereux roi des Lombards qu'il faut se concilier. Cette femme-là, bien qu'intelligente et
expérimentée, croit aux liens du mariage ! Elle arrange donc une alliance entre la fille de Didier et son Carolus, et ramène triomphalement la promise dans ses bagages, comme une colombe de
paix.
Carolus, soumis à la volonté de sa maman et confiant en ses
compétences politiques, soupire un peu mais, docile, épouse la demoiselle.
En vérité, Berthe a raté son coup.
Cette alliance envenime encore les relations entre les frères
ennemis.
Carloman est furibond. Son royaume se trouve à présent pris en étau
entre celui de son frère et celui de Didier, le beau-père. Charles est tout aussi mécontent. Son beau-père se sentant protégé, s'agite en Italie et, obsédé comme tous ses prédécesseurs par la
conquête de Rome, s'attaque à la papauté.
Heureusement, Carloman meurt fort à propos au moment où semble
inéluctable une guerre fratricide. Et Carolus met la main sur les possessions du défunt, balayant de l'autre main les héritiers de celui-ci, ses neveux. Dans la foulée, il répudie son épouse
lombarde pour épouser son nouvel amour (mais non le dernier), la belle Hildegarde.
Nous sommes en 771.
Carolus a 29 ans.
Il est grand temps de sortir des jupes de maman et de devenir
Charlemagne, non ?