Mes balades dans Paris
L'Île de la Cité : Les bouquinistes
Par temps de pluie, quand la Seine est trouée de gouttes d'eau, il y a des centaines de boîtes étranges accrochées aux parapets des quais de Paris, des boîtes, les unes à côté des autres et qui peuvent intriguer ... Est-ce une installation artistique nouvelle, due à un émule de Christo, qui aurait décidé d'emballer les quais de Paris avec des coffres en bois vert, et non plus, comme jadis, le Pont-Neuf avec de la toile et des cordes ? En vérité, pour bien comprendre ce que font là ces curieuses boîtes vertes, il faut attendre le premier rayon de soleil. Alors, comme par enchantement, sur fond de Conciergerie, de Notre-Dame ou du Châtelet, voilà qu'elles s'ouvrent et se déplient, dévoilant des étalages bariolés, alignant des milliers de livres anciens, d'innombrables couvertures de brochés d'occasion, de multiples gravures, des vues offrant pêle-mêle le Paris du Moyen-Âge et d'autres plus récentes, des portraits photographiques de stars du cinéma des années 1950 à nos jours, ou encore des affiches de films...
Les bouquinistes, propriétaires de ces boîtes magiques, sont là depuis des siècles, animant les trottoirs des quais, tout en faisant le bonheur des amoureux des livres comme des amateurs de clichés touristiques.
On en dénombre aujourd'hui 215, installés sur plus de trois kilomètres le long de la Seine et, depuis 1991 cet alignement de boîtes est inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco.
Sur la rive droite, ces "libraires" se succèdent du pont Marie au quai du Louvre et, sur la rive gauche, du quai de la Tournelle au quai Voltaire. Ils exploitent plus de 900 boîtes dans lesquelles sont exposés 300 000 livres anciens et d'occasion, auxquels s'ajoutent un très grand nombre de revues, gravures, estampes, photos, timbres et cartes de collection.
Ensemble, ils représentent la plus grande librairie de France et la seule à ciel ouvert. Celle-ci est aussi, sans contestation possible, la plus belle de toutes, avec la Seine et l'enfilade de ses ponts en guise d'allée centrale et, de part et d'autre, des boîtes vertes remplies d'ouvrages comme autant d'étagères au pied des plus beaux monuments de Paris comme décor.
Eléments indissociables de la capitale, photographiés à longueur de journée et tout au long de l'année par les passants des quais.
Mais qui sont ces bouquinistes ? Une saga ininterrompue :
Un arrêt royal du 27 juin 1577 assimilait déjà les petits marchants de livres d'occasion aux larrons et aux receleurs, mais dès l'année suivante, le bailly du Palais reconnaissait l'existence de dix colporteurs. C'est sur le Pont-Neuf, inauguré en juillet 1606, que débute véritablement l'histoire des bouquinistes. Et comme le rappelle leur revue annuelle " Le Parapet", le Pont-Neuf sera pendant près de trois siècles le champ de bataille des marchands de livres ambulants (colporteurs, libraires-forains et autres) contre les libraires-jurés et des pouvoirs royaux.
Vers 1614, les libraires eurent le droit, moyennant une redevance annuelle, d'avoir des boutiques portatives sur le Pont-Neuf et les quais avoisinants. Mais neuf ans plus tard, à la demande des librairies traditionnelles, jalouses de ce commerce, un règlement qui interdit "à toutes personnes de n'avoir aucune boutique portative ni d'étaler aucun livre, principalement sur le Pont-Neuf". Décret de Mazarin, alors ministre de la Régente Anne d'Autriche.
Les années passèrent. Timidement vers la fin du XVIIe siècles et au début du XVIIIe les bouquinistes réapparurent peu à peu sur le Pont-Neuf, sur les quais et dans les rues autour du pont Saint-Michel. Mais ils n'étaient pas encore au bout de leur peine ! Le 20 octobre 1721 fut promulgué un arrêt du roi Louis XV qui interdisait toute vente de livres neufs et d'occasion sur la voie publique, et de nombreux récalcitrants furent jetés en prison et en juillet 1756 tout commerce sur le Pont-Neuf fut interdit.
Il faut attendre le règne de Louis XVI pour que les marchands réinvestissent le Pont-Neuf et avec lui, la Place Dauphine.
C'est sous Napoléon 1er, qui ordonna la construction de quais le long de la Seine et l'élargissement de ceux qui existaient, que les bouquinistes se répandirent sur les parapets.
Sous le Second Empire, les bouquinistes eurent la permission de mettre des boîtes remplies de livres à endroit fixe sur les parapets des quais de la rive gauche, et c'est à partir de cette époque que les services de l'Hôtel de Ville prirent en main la destinée des bouquinistes des quais de Paris. Les premières permissions de stationnement, délivrées et renouvelées chaque année aux bouquinistes datent du décret du 10 octobre 1859.
Le comportement des clients n'est pas le même qu'en librairie.
Nombreux sont les clients qui discutent les prix - ce que personne ne fait en librairie - même pour des livres d'occasion. Sur les quais, les bouquinistes ont le sentiment d'être souvent perçus comme des clochards ! Bouquiniste est un vrai métier, même plus, une passion.
* Sources : Les bouquinistes "Paris, de Lutèce à nos jours" N° 4